La République de Guinée fête ses 63 ans d’indépendance en ce samedi 02 octobre 2021. Une célébration qui coïncide à quelques jours de la baisse du prix du carburant à la pomme par les nouvelles autorités. Dans cette interview exclusive qu’il a accordé à notre rédaction, Ousmane CAMARA, économiste, s’est exprimé sur ce fait avant de d’apporter son avis sur d’autres questions d’ordres économiques du pays.
Lematinalplus : Que pensez-vous de la baisse du prix du carburant à pompe par les nouvelles autorités ?
Ousmane CAMARA : « En ses termes, en réalité c’est une très bonne chose en ces périodes incertaines pour la Guinée ( la pandémie et la transition) surtout que le prix du carburant est fortement corrélé avec le prix des autres denrées de première nécessité et le prix du transport par ricochet, toute augmentation entraîne ne hausse au niveau général des prix c’est automatique. Surtout avec une inflation à deux chiffres suivie d’une hausse du prix du carburant c’est de conduire les populations à une asphyxie et une dégradation poussée du pouvoir d’achat. Donc cette baisse du prix à la pompe est salutaire puisque l’objectif de toute politique publique dont la politique économique qui est un de ses instruments est le bien être des populations ».
Avant la chute du régime condé, le gouvernement avait annoncé la prospérité partagée. Oui quel est votre point de vue ?
« En fait, la Guinée n’a jamais été une économie de croissance durable et soutenue. Surtout avec cette dernière décennie la croissance créée en Guinée est une croissance bauxitique c’est à dire liée à l’évolution de la production de la bauxite si vous avez dû remarquer avant l’arrivée du régime condé nous étions à une production annuelle de 10 M de tonnes et aujourd’hui cette production annuelle est estimée à 70 M suite à l’absence des concurrents notamment l’Australie et l’Inde ».
Mais pourquoi cette absence des concurrents ?
« Oui c’est normal et cette absence est à saluer parce que ces pays ont décidé la transformation sur place et c’est de cette occasion la Guinée a profité pour augmenter sa production or être dans la logique d’exporter la terre rouge ( bauxite) sans transformation sur place ne favorise pas la fameuse prospérité partagée et la prospérité partagée en question renvoie la notion de croissance inclusive et aujourd’hui en Guinée si vous mettez le croissant et la croissance les guinéens vont choisir le croissant.
Exporter sans transformation sur place certes apporte de l’argent à l’Etat ( le budget national) mais ne peut pas créer de véritable richesse en termes d’emplois et de niveaux de vie.
Parce qu’il y a prospérité partagée c’est quand les populations ressentent le fruit de la croissance c’est à dire les habitants de koundara, de yattaya, cobaya de nzerekoré etc voient une nette amélioration à tous les niveaux c’est comme ça on peut bâtir une économie dynamique. Mais le problème en Guinée les réalités macroéconomiques ne sont pas en phases avec ce que ressentent les populations comme nous les économistes aiment le dire il y a la croissance partout sauf dans le panier de la ménagère surtout que la demande solvable n’est pas assez significative or la logique voudrait quoi en cas d’augmentation de la demande globale les populations devraient ressentir cette augmentation».
Quels conseils avez-vous à adresser aux nouvelles autorités pour une meilleure prospérité partagée?
« Oui c’est simple il faut juste changer la configuration de notre économie c’est à dire procéder à une meilleure diversification de l’économie guinéenne ne pas considérer le secteur minier comme la vitrine de l’économie guinéenne, financer l’agriculture qui représente 70% de la population et lutter contre la corruption qui est devenue un fléau majeur dans notre pays ».
De passage, peut-on connaître votre point de vue sur la monnaie unique de la CEADAO l’Eco en tant qu’économiste ?
« Écoutez je pense que c’est une très bonne chose partager une monnaie unique dans la mesure où elle vous permet de renforcer une meilleure intégration et vous évite le risque de change et les coûts de transactions. En réalité, le problème avec l’éco, on a une démarche un peu tronquée » Pourquoi ? « Parce que la CEDEAO veut faire de l’Eco comme l’image de la zone euro en Europe c’est à dire du copier coller, par exemple je prends les critères de convergences macroéconomiques vous trouverez que c’est les mêmes qui existent lors de la création de la zone euro au sommet de Maastricht en 1999. À mon avis, on n’a pas les mêmes réalités économiques que les européens on doit avoir nos propres critères adaptés à nos économies. Et je peux même dire que la zone euro n’est pas une référence pour une zone monétaire optimale ».
Alors revenons sur ces critères de convergences macroéconomiques, ils situés à combien de rang ? Lesquels ?
« En fait, ils sont à deux niveaux:
Les critères de premier rang et de second rang.
Pour tout pays il faut avoir :
– un taux d’inflation moyenne annuelle de 5%
– un déficit budgétaire inférieur ou égal à 5 %.
– Financement du déficit par la banque centrale doit être inférieur ou égal 10%.
– les réserves brutes de change en mois d’importations doivent être supérieures ou égales à 3 mois.
– la stabilité du taux de change doit fluctuer entre 10% .
– l’encours de la dette doit être inférieur ou égal à 70% »
Parlons du déficit budgétaire qui est fixé à 3%, pourquoi ?
« Parce que dire à des pays de limiter le déficit a 3% c’est de l’emmener à une asphyxie économique et le pousser à la gestion de la contrainte budgétaire, je rappelle que le déficit en soi n’est pas mauvais parce qu’il montre l’ambition que vous avez pour votre économie puisque le budget est une prévision c’est pourquoi on parle de loi des finances. Encore un autre problème qui retarde la mise en place de l’Eco d’ailleurs il est reporté pour 2027 parce que les 7 pays hors UEMOA ne sont pas d’accord avec ceux de l’UEMOA ».
Peut-on savoir les raisns de ce désaccord ?
« Oui les 7 pays hors UEMOA constatent l’incohérence dans la démarche en fait ils supposent que l’Eco risque de devenir du FCFA déguisé puisque si vous regardez les princes qui encadrent la zone franc ces principes bloquent l’autonomisation de ces pays et la France ne veut pas lâcher son pré carré Ouest africain ».
Alors quels sont ces principes qui bloquent le processus ?
« Dans ces principes vous avez la fameuse parité fixe entre l’euro et FCFA 1 euro = 655 FCFA chose qui pénalise les économies des pays de la zone franc d’être compétitives puisque lorsque votre monnaie est arrimée à l’euro qui est une monnaie très forte agit comme une taxe sur vos exportations et une subvention sur vos importations c’est pourquoi toutes les balances commerciales sont déficitaires et si vous voulez on peut aller loin si vous avez la parité fixe avec l’euro vous allez suivre les fluctuations de l’euro sur le marché mondial inconvénient vos produits deviendront chers et vous obligent à être dans une logique de consommation extravertie ».
Quels sont vos mots de la fin concernant l’Eco pour une meilleure zone monétaire ?
« A mon avis pour une meilleure zone monétaire optimale profitable à tous, il faut une politique fédérale à tous les niveaux( budgétaire, fiscale , production etc) sans quoi on assistera à un scénario de polarisation des pays économiquement armés s’en sortiront et les autres dans des zones de turbulences. L’avantage de la politique fédérale est de permettre aux économies faibles de s’ajuster et de recevoir le soutien en période de crise vous avez vu comment la Grèce souffre dans la zone euro donc sans la politique fédérale on serait dans cette dynamique ».
Interview réalisée par Tamba Pierre LENO