Dans cette rubrique, votre quotidien en ligne donne la parole à un professionnel et spécialiste de la culture guinéenne. Dans cette première contribution qu’il a bien voulu partager avec nos lecteurs, il met en lumière certaines considérations qui contribuent à exacerber les divisions entre les guinéens des quatre régions naturelles, néées du système colonial français.

Notre spécialiste qui signe cette chronique se nomme Joseph Fodé Telliano, Administrateur civil, il occupe actuellement le poste de Chef de Département Culture, Information et Communication au Secrétariat Permanent de la Commission Nationale Guinéenne pour l’UNESCO. Il est cumulativement le Point Focal du Projet de Prévention de la Migration Irrégulière en République de Guinée à la Direction diocésaine de l’Organisation Catholique pour la Promotion Humaine/Caritas Conakry.
Poète en herbe ayant une série de titres et textes littérares, il participe à la rédaction de plusieurs ouvrages collectifs portant sur les monographies des localités, la réhabilitation des traditions au pays Kissi et des sites culturels. Joseph contribue également aux travaux de recherche dans le domaine religieux (écriture de l’histoire des Paroisses de l’Archidiocèse de Conakry et écriture de la dévotion à Marie à travers les grottes mariales de la même circonscription ecclésiastique, etc.
Monsieur TELLIANO compte aujourd’hui 17 ans d’expérience professionnelle dans les domaines de l’animation culturelle, de l’assistance humanitaire, du développement, des archives et de l’administration publique à travers les administrations des Etats et des Municipalités, les organisations nationales et internationales en Guinée, en Egypte et en France.
Nous vous livrons in extenso sa contribution :

« La République de Guinée est un pays francophone de l’Afrique de l’Ouest. Sa superficie est de 245 857 km2. Il est indépendant depuis le 2 octobre 1958. Sa capitale est Conakry. Le pays est composé de quatre régions naturelles. La Basse Guinée ou Guinée Maritime, la Moyenne Guinée ou le Fouta Djallon, la Haute Guinée ou le Manding et la Guinée Forestière ou la Forêt. Ces régions sont distinctes l’une de l’autre par certaines caractéristiques telles que le relief, le climat, la végétation, l’hydrographie ou le peuplement. Mais l’ensemble de ces différences fait une harmonie donnant une beauté extraordinaire au pays ce qui attire parfois tant de chercheurs, d’artistes nationaux et internationaux et des touristes à découvrir les profondeurs de ce beau pays.
Un fait très marquant dans cette beauté légendaire pour lequel je veux attirer l’attention de tous : il s’agit de l’appellation des populations autochtones de la région du Sud de la Guinée de « forestiers ». A mon humble avis, cette appellation a une connotation péjorative car à vrai dire nous savons bien que les forêts sont très souvent habitées par les animaux rares de toutes espèces, de tous genres et toutes classes (les gros reptiles, les macaques, les gorilles, les lions, les éléphants, les panthères, les buffles, les chimpanzés, les chauves-souris, etc.).
Mon désaccord avec cette appellation repose sur trois points essentiels ci-après :
- D’abord, quand vous avez la chance de voyager dans les autres régions naturelles de la Guinée, vous verrez que chacune d’elles possède des forêts de leur nature qui satisfont les besoins écologiques locales ainsi que des populations riveraines. Je sais que vous me demanderez si toutes ces forêts sont aussi primaires à l’instar de celle de Ziama à Macenta.
- Ensuite, en s’appuyant sur la richesse du vocabulaire de la langue française avec le néologisme, on pourrait trouver bel et bien des appellations pour les populations autochtones des autres régions naturelles de la Guinée. En Guinée Maritime (Basse Guinée) on pouvait dire les « Marins » ou les « Salins » à cause de la présence de la mer et du sel dans les eaux du littoral. On appellerait les occupants du Fouta Djallon (Moyenne Guinée), les « Foutaniens », « Bergers » ou « Montagnards », appellations relatives au nom authentique de la région et de l’activité dominante de prédilection de ses occupants. Je fais allusion au nomadisme ou à la transhumance pastorale que pratiquent les bergers du Fouta à la recherche du pâturage pour leur bétail. Quant aux occupants du Manding (Haute Guinée), ils mériteraient d’être appelés les « Mandén » ou « Mandenka », « Sahariens » ou alors les « Soudanais » car d’après l’histoire, ils seraient tous venus du Soudan, actuel République du Mali. Mais je me pose la question de savoir si tous ces peuples accepteraient de répondre à ces différentes appellations qui sont aussi péjoratives.
- Enfin, dans ma quête de savoir, je me suis souvent aventuré à maintes reprises de demander à certains diplômés sortis des écoles et centres de formation guinéens et aux personnes non instruites ressortissants des trois autres régions naturelles de la Guinée de me citer les composantes des peuples de la Guinée appelée « Forestière » et j’avoue avec sincérité qu’ils ont été incapables de me satisfaire à ce petit exercice de culture générale.
Ainsi, notre pays ayant mis les pieds dans le processus de démocratisation a plusieurs chantiers en face. Parmi ces nombreux chantiers je peux citer le développement de l’éducation à outrance pour toute la population afin d’instruire tout le monde aux disciplines de la vie. Je pense de même à l’introduction de l’enseignement de l’art et de la culture dans les curricula scolaires pour développer la connaissance et le respect des savoirs locaux, du civisme, de la citoyenneté et du patriotisme. Ceci permettra de déceler et d’encadrer les meilleurs talents, les moyens et le reste dont la synergie peut concourir à l’émergence véritable du pays. Il s’agit ensuite de la réécriture de l’histoire générale de la Guinée, sa traduction dans les langues nationales et sa vulgarisation pour sa meilleure connaissance de toutes et de tous. A cela s’ajoute le développement accéléré des moyens de communication (les voies routières, les voies ferroviaires, les tunnels, les voies fluviales et maritimes, les voies aériennes, la téléphonie et l’internet) afin de favoriser les échanges réciproques entre les différentes localités du pays dans le cadre du commerce, des voyages pédagogiques, des missions d’Etat, des découvertes ou le tourisme. Ces mouvements de personnes et leurs biens peuvent constituer des occasions de découvrir le potentiel minier, agricole, hydrographique, environnemental, culturel, artisanal, patrimonial, traditionnel, coutumier, etc. variant d’une localité à une autre. La maîtrise des questions relatives à la gestion, la gouvernance, l’économie, la politique ne peuvent s’acquérir que par le professionnalisme et non dans l’amateurisme ou la propagande.
On pourrait dire que cette stratégie noble est un remède qui pourrait lutter efficacement contre les clivages selon lesquels une partie des Kissia serait la vraie et l’autre fausse, par exemple entre Gueckédou et Kissidougou. Les premiers, longtemps isolés au Sud, ont développé les contacts avec les peuples du Liberia et de la Sierra Leone voisins. Les seconds, ont des liens séculaires avec les peuples mandéns. Mais à vrai dire, entre les deux il s’agit tout simplement d’une question d’emprunts dans le langage alors que cela est valable pour les deux parties.
De l’autre côté, dans la grande unicité des peuples mandéns, on continue encore à considérer les Konianké, les Tomamanian, les Kouranko, les Lélé, les Sarokolé, les Diallonké, les Diakanké, etc. comme les démembrements du grand groupe Mandén; les peuples allogènes du Fouta sont appelés captifs ou madjoudö ou esclaves alors que cette pratique est de nos jours punissable et passive de condamnation et de peine selon les lois et traités internationaux.
Il en est de même pour la Basse Guinée où on met souvent le Sousou de Kindia au premier rang comparativement à celui de Forécariah, de Coyah, de Dubréka, de Fria, de Boffa ou de Boké.
Par ailleurs, un autre niveau de mépris s’installe. Il s’agit des chrétiens et des musulmans qui peinent à cohabiter dans un dialogue sincère et franc alors qu’ils adorent tous un Dieu Très Puissant qui est un, unique et indivisible. Si non je dirais qu’ils font les mêmes gymnastiques religieuses dans les religions révélées, les sectes ou églises de réveil. Ils consultent parfois les mêmes devins, marabouts, charlatans et féticheurs qui leur demandent de faire les mêmes sacrifices de cola, de pain blanc ou de fil d’étoffe. Tout cela ne serait-il pas des considérations de complexe ou de complaisance et sources de mépris communautaires capables d’attiser les haines entre ces groupes alors qu’on aime souvent dire que la Guinée est une famille ?
C’est pourquoi j’invite l’Etat à prendre des décisions courageuses pour débaptiser la Guinée Forestière et son peuple et interdire les considérations péjoratives, dégradantes ou avilissantes dans notre pays car personne n’en tire profit dans une telle atmosphère.
J’estime que la prise en considération de ces aspects favorisera le passage de la Guinée à l’Etat nation où les sentiments de régionalisme, de communautarisme et d’ethnocentrisme passeront pacifiquement de barrages en ponts. Bref, il est temps que tout guinéen arrête d’utiliser les termes qui divisent ou détruisent pour les remplacer par ceux qui contribuent à l’amour, l’unité, la cohabitation pacifique pour mieux écrire les belles pages de notre histoire commune de manière durable. Le respect de la diversité culturelle facilite le dialogue constructif et l’inclusion sociale des peuples ».
Les pouvoirs publics et la classe politique ont du mal à réaliser le chantier de l’unité nationale. S’il le trouve nécessaire, ils ne s’entendent pas encore sur les approches. Toujours est-il que maints observateurs, trouvent logique de donner la parole à l’élite guinéenne, souvent moins vue. Elle est pourtant composée et riche d’universitaires et d’intellectuels, spécialistes de divers domaines. Joseph est de ceux-là qui décident de faire entendre désormais leurs voix, refusant ainsi de laisser les politiques seuls occuper l’espace public.
La rédaction!