L’appellation « Forestiers » que les gens utilisent pour désigner les habitants de la région australe de la Guinée, remonte de l’époque coloniale. Les colons Français, par dérision contre ceux qui leur ont opposé la plus grande résistance en Guinée, maintiendront ce nom. Il est en établi que l’histoire coloniale passe les hauts faits de la résistance anticoloniale africaine sous silence. C’est cela qui explique l’omission de pages entières de l’histoire de l’occupation qui glorifient, à juste titre, les africains. Rappelons que Conakry est devenue capitale de la Guinée Française entre 1865-18661. Par contre, la région du Sud-Guinée, n’en deviendra partie qu’en 1912. Ce témoignage est rapporté par Goerg, dans ces travaux sur la colonisation en Guinée, publiés en 2006.
D’où viendrait le nom « Forestier » ?. Il faut noter que pendant les expéditions militaires les troupes coloniales utilisaient des auxiliaires non-originaires de zones de conquête potentielle. Ces guides et espions n’avaient aucune attache historique ni affective avec les peuples qui luttaient contre les colons. Au Cameroun, par exemple, les auxiliaires coloniaux en service dans le nord du pays étaient des Pawouin, originaires du Sud-Cameroun. Par contre, les mêmes troupes coloniales utilisaient les Bantous de la région équatoriale comme agents dans le nord du pays. C’est dans cette logique que les guides et interprètes coloniaux dans le Sud-Guinée étaient des Bambaras du Mali. Ceux-ci utilisaient l’appellation « Toukôrômôgô » (Habitants des zones sylvestres) pour désigner les habitants du Sud-Guinée .
Il faut aussi rappeler que l’occupation du Sud-Guinée a été faite à grand coût militaire. Deux auteurs de l’histoire coloniale, Griffeth et Pakenmham l’assertent dans leurs ouvrages publiés respectivement en 1970 et 1991. En fait, dans nombre de villages du Sud-Guinée, il y a le cimetière des blancs. De Bofossou, Kpôvô-wolaou, Sassaguizé-Zou, Seghèlèmain (Sérédou), Zappa, Boussémain, à Bossou, etc. Dans chacune de ces agglomérations, notamment Boussémain, il y eu des batailles aux dimensions historiques. La bravoure des combattants Sud-Guinéens et leurs stratégies militaires avaient souvent dérouté les officiers sortis des académies militaires de France. C’est pourquoi, après de dures combats, et non-content du comportement des « terribles sauvages » de cette région, que les colons avaient maintenu l’appellation Toukôrômôgô, pour aussi psychologiquement les assujettir suite à leur défaite militaire.
Cette appellation péjorative aura, pendant toute la colonisation un effet de cristallisation à connotation négative sur la désignation des Sud-Guinéens. Cette dénomination négative aura à son tour un effet d’hypnose collective qui induira les uns à croire en l’infériorité social, voire même congénitale des Sud-Guinéens. Cet effet se poursuivra même après les indépendances en 1958.
Heureusement, cette perception négative des Sud-Guinéens est en voie de changement, notamment depuis les années 1990. En fait, les Sud-Guinéens sont devenus plus mobiles qu’il y a 50 ans. Ils sont présents en France, Allemagne, Belgique, Suisse, Russie, et aux USA, etc. Ils sont présents en Chine, Inde, Pakistan, Sri Lanka, etc. Ils sont présents au Mexique, en Argentine, à Trinidad et Tobago, etc. Ils ont même développé un sens d’organisation sociale de haut niveau. Ils ont des associations régionales dans nombre de pays européens ci-dessus cités, et en Amérique Nord (USA et Canada) ; ils ont mis sur pieds le Conseil Supérieur de la Diaspora « Forestière »; un nombre de plus en plus croissants d’entre-eux sont titulaires de licences, de maitrises et de doctorats dans plusieurs domaines académiques et professionnels. Aussi, ils sont de plus en plus engagés dans le commerce, le sport et la musique, et dans les ONGs. Ces faits parmi d’autres contribuent au changement de leur structure mentale qui transparait tant leurs comportements dont la dimension est de plus en plus universelle.
En outre, il faut souligner que leur région est d’importance capitale dans l’économie de la Guinée. Elle est non seulement le site de production agricole vivrière (riz, manioc, haricot, etc.) mais aussi industrielle (hévéa, palmier à huile, soja, etc.). En outre, son sous-sol recèle d’important gisements miniers ( fer, or, diamants, uranium). Ces populations ne devraient donc plus etre à la périphérie de l’économie Guinéenne ; bien au contraire elles doivent etre au centre de cette économie. A César ce qui appartient à César ; au Sud-Guinée ce qui lui appartient. Un tel fait de restructuration d’un système déstructuré ne ferait que rétablir l’équilibre de la justice socioéconomique en Guinée, pour un développement à dimension sociétal pour tous. Mais il faut souligner que le monde est un marché où les acheteurs achètent les peuples aux prix qu’ils affichent devant leur étagères sociales. Si un peuple s’évalue à 1000FG on lui paiera à ce prix ; Par contre s’il s’évalue à 1 milliard les mêmes acheteurs le paieront à ce prix sans rechigner. Il appartient donc aux Sud-Guinéens d’œuvrer au rehaussement de leurs valeurs sur la scène économique et politique Guinéenne et sur la scène internationale. Il est paradoxal que Dieu bénisse un peuple qu’ils acceptent que d’autres peuples le relèguent en second plan au milieu d’ abondances naturelles auxquelles ils ont autant droit que les autres.
P.S. : Le nom Sud-Guinéens désigne tous ceux qui vivent dans la région australe de la Guinée.
Dr. Antoine SOVOGUI