Le Président du Bloc Libéral annonce son retour en Guinée le mercredi 9 juin 2021. Après plusieurs mois en Europe et aux Etats Unis où il réside avec sa petite famille, il revient auprès des siens pour poursuivre le combat politique. Dans cette interview qu’il a accepté d’accorder à votre quotidien en ligne, Dr Faya Millimouno demande l’arrêt des restrictions de liberté de mouvement contre certains acteurs de l’opposition.
Lematinalplus : Dr Faya Millimouno, cela fait plusieurs mois que vous êtes absent du pays. Plusieurs mois qu’on ne vous a pas entendu sur l’actualité en Guinée. Dites nous a quoi votre séjour en dehors de la Guinée a consisté ?
Dr Faya Millimouno : Je vous remercie pour l’opportunité que vous me donnez de m’exprimer à travers votre media. Cela dit, ayant une partie de ma famille aux Etats-Unis, je m’y rends régulièrement pour des visites de famille.
Par ailleurs, je profite de mes séjours pour rencontrer, en Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada) et en Europe, pour organiser des échanges et des rencontres avec des compatriotes membres des différentes structures et fédérations du Bloc Liberal implantées dans ces deux continents. C’est d’ailleurs ce que tout le monde fait au BL partout où il se déplace dans le but de la poursuite du renforcement et de la redynamisation du parti à l’étranger.
Comment réagissez-vous à la nomination de Fodé Bangoura à la tête du secrétariat permanent de dialogue politique et social ?
« Comme tout le monde, nous suivons avec intérêt l’évolution de la situation sociopolitique de notre pays particulièrement la gouvernance actuelle mise en place par le régime sous la bannière de gouverner autrement. Ainsi qu’il s’agisse de la gestion des affaires publiques ou des nominations de Guinéens comme celle de Monsieur Fodé Bangoura, président du PUP (parti de l’unité et du progrès), au poste de secrétaire permanent du cadre du dialogue politique et social, le vœu pieux du BL est ce que l’intérêt supérieur de la Guinée et la gestion vertueuse des affaires publiques soient la priorité constante du gouvernement. Nous pensons que c’est un pas important vers la mise en place d’un cadre du dialogue inclusif et vers l’effectivité de ce dialogue, dont la Guinée a tant besoin ».
A votre avis le fait qu’il soit président de parti politique, peut-il faciliter son travail ?
« D’abord, il faut noter que, qu’il s’agit d’un cadre de dialogue, si les termes de référence sont clairs et bien définis, je ne vois pas d’inconvénients, le fait qu’il soit chef de parti. Parce que, sa mission sera de contribuer à animer le dialogue, de servir de leadership et donc de locomotive en utilisant des instruments mis à sa portée pour la conduite des travaux du dialogue avec toutes les entités socio politiques et culturelles de notre pays. Ce n’est donc pas un chef ou un PDG qui vient dicter des choses. Si c’est perçu sous cet angle, ce sera un échec du dialogue ».
Quelle appréciation faites-vous du choix du président ?
« Vous le savez, il ne me revient pas de commenter les nominations des guinéens et guinéennes aux différentes fonctions par le Président. C’est son droit d’accorder sa confiance en qui il le veut.
Dans notre pays, ce n’est ni les talents ni les compétences qui manquent ; ce qui en constitue le problème est le système clanique, mafieux et corrompu en place depuis des décennies. Tant que ce système qui a démontré ses limites existe, rien ne sera possible de construire un Etat vertueux, efficace et respectueux de la démocratie et des lois de la République.
Je pense que le régime actuel dispose encore une seconde chance pour rompre avec ce système et mettre réellement la Guinée sur les rails et sur la voie du développement inclusif et résilient après tant d’années de crises politiques, sociales et sanitaires. Pour que ce dialogue soit effectif, il faut que certains préalables soient en place. De mon point de vue, il faut au moins la libération des prisonniers politiques, la restauration pleine et entière des libertés politiques (qu’il n’y ait aucune entrave au fonctionnement normal des partis), la restauration des libertés de mouvement pour tout le monde et dans tout le pays ».
Comment voyez-vous les rapports entre lui et le premier ministre qui reste tout de même le Président de ce cadre de dialogue, selon la constitution ?
« A ma connaissance, il n’y a pas de problème (à moins que je l’ignore). Le cadre du dialogue et la mission du PM en matière de dialogue social sont complémentaires et le premier doit travailler à aider le second à atteindre ses objectifs dans le cadre du dialogue social qui est en panne dans notre pays et le second doit intelligemment se servir du premier pour y arriver. Si chacun joue son rôle dans le respect de celui de l’autre, et surtout dans un esprit patriotique, il n’y a pas de raison de s’inquiéter ».
Comment trouvez-vous le rythme avec lequel le Président procède dans l’ouverture de ces discussions entre acteurs politiques et sociaux qui se fait désirer ?
« L’immensité, la complexité et la profondeur de la crise en sont pour quelque chose, peut-être. Nous sommes aujourd’hui dans un pays dont les acteurs politiques majeurs ne s’entendent sur rien ou presque. Comme je viens de le dire, tout le monde ne réfère pas à la même constitution quand il parle de constitution. Tout le monde ne reconnait pas le gouvernement, tout le monde ne reconnait pas le même président, tout le monde ne reconnait pas le parlement, tout le monde ne reconnait pas la CENI et son fichier électoral, etc. Sans compter la crise sanitaire mondiale qui frappe le monde entier depuis bientôt deux ans.
Devant cette situation, le Guinéen lambda, qui voit le sol s’écrouler sous ses pieds à cause de la pauvreté qui augmente à pas de géant, du chômage, surtout des jeunes, qui va crescendo, de l’insécurité, de la division et, surtout, du manque quasi-total de solutions à l’horizon, devient de plus en plus désemparé et révolté. C’est ce qui explique des mouvements un peu partout sur le territoire. Un rien peut mettre le feu aux poudres.
Si un tel contexte commande de la prudence à tout détenteur de pouvoir qui veut le garder coute que coute, il invite, de mon point de vue, non pas à la politique politicienne, non pas à l’inaction, mais à l’action dans un esprit d’ouverture et de patriotisme ».
Quelle forme ces discussions devraient prendre à votre avis ?
« A mon avis, les discussions doivent commencer dans chaque camp : opposition, mouvance et société civile. Un processus inclusif de dialogue depuis la base dans nos communautés jusqu’à Conakry. Ces discussions auront l’avantage de noter les préoccupations des uns et des autres, d’identifier les différentes positions et les significations rattachées à chaque position, et de faire l’ébauche d’un agenda. La rencontre de tous les acteurs devant prendre part au dialogue ne doit intervenir qu’après ces consultations internes ».
Comment trouvez-vous le discours et les actes du gouvernement qui exprime sa volonté de garantir les discussions ?
« Le gouvernement sait plus que quiconque les difficultés auxquelles le pays est confronté. C’est déjà un bon signe. Mais nous avons une histoire. En effet, par le passé, nous avons eu des dialogues et nous avons eu des accords, qui n’ont jamais été honorés. C’est pourquoi, le gouvernement doit aller au-delà de cette expression de volonté de garantir les discussions en commençant par donner des signaux forts et qu’il est capable de respecter les droits du pays et d’honorer ses engagements. Il y a tellement de contentieux non encore vidés : l’installation des chefs de quartiers et des présidents de districts. Il y a des décisions de justice que le gouvernement a ignoré par le passé qu’il doit commencer par respecter. C’est ce qui peut rassurer certains sceptiques qu’un dialogue a encore un sens en Guinée et que le futur accord ne subira pas le même sort que les accords précédents ».
Le gouvernement annonce des difficultés économiques pour l’ensemble du pays. Difficultés qu’il explique par la conjoncture économique mondiale. Votre réaction ?
« Les difficultés sont déjà là et elles sont nombreuses et difficiles pour les populations. Cependant, la conjoncture mondiale n’explique pas tout. Oui, COVID-19 est là depuis le début de l’année 2020. Oui, nous avons eu le retour de la fièvre hémorragique à virus Ebola. Oui, on nous parle même de la fièvre Lassa qui vient de faire sa première victime en Guinée. Mais tout cela est loin de tout expliquer la situation économique actuelle et très difficile dont les populations guinéennes font face ».
Pour vous qu’est ce qui a bien pu nous mettre dans la crise actuelle ?
Dr Faya Millimouno : « A mon avis, les causes lointaines de la situation économique actuelle de notre pays se situent dans la mauvaise gouvernance de ce pays depuis des décennies à travers un système que j’ai plus haut décrit. Il y’a aussi tous les contentieux non vidés dans les relations du pouvoir du Président Alpha Condé avec son opposition, qui ont fini par saper la confiance des uns envers des autres. Autrement dit l’ensemble des accords non honorés pendant les deux premiers mandats du régime.
Mais l’élément déclencheur, la cause immédiate est le changement constitutionnel ayant ouvert la voie au troisième mandat pour le Président Alpha Condé. Ce changement a été accouché dans la douleur pour le peuple de Guinée. Que de violences ! Que de morts ! Que de blessés ! Que de privation de liberté et enfin, le blocus du pays et le départ massif des investisseurs et des capitaux étrangers. Mais malgré tout, l’économie guinéenne maintient un certain rythme de croissance grâce au génie entrepreneurial du Guinéen. Malheureusement, la mauvaise gestion, la corruption, la gabegie financière et le train de vie de l’Etat providence zappent ces efforts économiques et compromettent la répartition équitable de la prospérité
A titre d’exemple, trois processus électoraux (le referendum, les législatives et la présidentielle) ont été conduits et entièrement financés par le budget national pour éviter toute injonction étrangère. Au-delà du fait que le pays vivait la situation politique difficile doublée d’une des crises sanitaires (COVID-19 et épidémie à virus Ebola), le temps s’était arrêté pour les Guinéens sur le plan économique. Même l’administration publique n’a pas fonctionné durant toute cette année 2020. Bref, voici les caractéristiques principales du quotidien des Guinéens durant les deux ans qui ont précédé l’année 2021 :
Des processus électoraux chaotiques, malmenés, corrompus, falsifiés et aujourd’hui source de crises politiques et de vives tensions sur dans le pays ;
Une élection présidentielle qui n’avait ni un fichier électoral crédible, ni une constitution légale, ni des institutions indépendantes pour garantir l’équité du processus. Une élection contestée depuis durant les mois par la majorité des Guinéens et entachée de sangs de centaines de nos braves et illustres concitoyens Guinéens. Ils ne sont pas morts pour qu’on dise enfin tout ça pour ça ;
La violation récurrente des lois mettant en ruine des institutions et les poussant à travailler exclusivement pour le seul bénéfice du parti au pouvoir et de ses soutiens. Il faut s’en offusquer ;
La violation grave du code électoral dans installation des exécutifs communaux par la substitution d’élus par des non élus ;
La gabegie financière et la culture de l’impunité marquées par la disparition de nombreux milliards des fonds publics ;
Une assemblée nationale monocolore et issue d’un processus électoral rejeté par une bonne partie de la classe politique et non inclusif ;
Plus de 200 Guinéens qui sont tombés pour défendre les valeurs cardinales et chères de la République et réclamer leurs droits les plus élémentaires ; etc. »
Et lorsqu’on parle d’augmentation du prix des produits pétroliers, a-t-il raison quand il se plaint de la subvention accordée au secteur ?
Dr Faya Millimouno : « Malgré toute la campagne que mène le gouvernement pour préparer les esprits, en prélude à l’augmentation du prix du carburant à la pompe, l’examen attentif des documents produits par les responsables en charge de la gestion des hydrocarbures, membres du même gouvernement, nous apprennent le contraire. En effet, en vendant le carburant à 9000 GNF pendant le mois de mai qui vient de finir, le gouvernement aura empoché 2.200 GNF au moins sur chaque litre vendu.
En effet, selon le document appelé « Structure des prix des produits pétroliers » à compter du mois du premier mai 2021, le prix de revient d’un litre d’essence, toutes les charges comprises, s’élève à 6.768 GNF, conformément à la structure officielle. Donc, en vendant le carburant à 9.000 GNF par litre, le gouvernement empoche 2.232 GNF sur chaque litre d’essence vendu à la pompe. Cela veut dire que le gouvernement ne subventionne pas le carburant, contrairement au discours officiel ».
Au regard de tous ces défis et difficultés que notre pays fait face, Quelles sont vos propositions de solutions ?
Dr Faya Millimouno : « Vivement préoccupé par la situation du pays et surtout par des conditions de vie de nos compatriotes, je rappelle ici les propositions de mon parti, le Bloc LIBÉRAL (BL).
Au niveau politique, il faut :
libérer tous les détenus politiques, activistes et journalistes en prison, ne serait-ce que provisoirement, en attendant la fin de ces procédures qui évoluent avec beaucoup de lenteur ;
arrêter immédiatement les restrictions de liberté de mouvement dont sont victimes certains acteurs politiques ;
installer les chefs de quartiers et les présidents de districts conformément à la loi et à la décision de la Cour suprême ;
organiser un dialogue inclusif sur toutes les questions qui font l’objet de contentieux en vue d’un accord qui ouvre des perspectives heureuses pour le pays ;
Dissoudre la CENI actuelle et mettre en place une CENI technique avec une gestion autonome et un conseil d’administration inclusif
Au niveau économique et social, il faut :
réouvrir des frontières avec le Sénégal et la Guinée Bissau ;
maintenir l’actuel prix du carburant à la pompe ;
dédommager et relocaliser toutes les victimes des déguerpissements fantômes dont le premier ministre lui-même a reconnu n’avoir été au courant, lui-même et son gouvernement (ce dossier doit faire l’objet d’enquête pour situer les responsibilités et rendre justice);
réduire au strict minimum les budgets de souveraineté de la Présidence de la République et de la Primature ;
gérer avec plus de parcimonie le parc automobile de l’Etat (pas de circulation de VA après les heures de travail, réduction des achats de voitures de luxe, etc.) ;
cesser les distributions extravagantes des tickets de carburants aux fonctionnaires et commis de l’Etat ;
réduire la pléthore de conseillers avec rangs de ministre, à la présidence et à la primature ;
réduire le nombre de ministères à un maximum de 20 ; la Guinée n’a pas besoin des ministres de récompenses électorale;
lutter efficacement contre la corruption et les détournements de deniers publics ;
instaurer un véritablement assainissement du climat des affaires y compris la transparence ».
UN MOT POUR LES MILITANTS
(La santé du BL ?)
Dr Faya Millimouno : « Le Bloc Libéral poursuit son combat malgré les défis. Comme à l’extérieur, le bureau politique est à pied d’œuvre pour renforcer les structures existantes et créer de nouvelles structures. Malgré mon absence du pays, j’ai été témoin de missions de redynamisation à Kindia, à Yomou et à Lola. Il y a des missions en cours actuellement dans le Grand Conakry, dans les deux régions administratives de Mamou et de Labé pour faire d’état des lieux, et à Guéckédou et Kissidougou pour l’installation de nouvelles structures.
Il y a plus de sérénité et de cohésion dans le fonctionnement du parti aujourd’hui et j’observe plus d’engagement des cadres et militants pour l’atteinte des objectifs que nous nous fixons.
Je félicite et encourage tous les cadres et militants à tous les niveaux. Nous avons promis au peuple de Guinée une rupture d’avec le système qui a fait défaut. Nous tiendrons cette promesse ».
Votre relation avec vos collègues qui vous ont quitté ?
« Aux collègues qui nous ont quitté, nous maintenons avec la plupart d’entre eux une bonne relation amicale et sommes ensemble sur le champ politique qui n’est pas basé sur l’animosité mais sur des contradictions politiques et des rapports de force.
Le procès que vous avez intenté contre eux ?
« Le procès est d’ordre personnel et lié à mon intégrité même si beaucoup estime que ce procès est lié au BL et je dis non. Pour moi, il a une visée pédagogique. Si nous sommes en politique, c’est pour promouvoir les valeurs et combattre les contre-valeurs. Que le droit soit dit ».
Entretien réalisé par la rédaction