Des centaines de milliers de manifestants soudanais sont sortis, samedi 30 octobre, dans les rues de Khartoum et dans plus de 70 autres villes du pays, pour exiger le rétablissement d’un gouvernement dirigé par des civils afin de remettre le pays sur la voie de la démocratie, après le coup d’État militaire de lundi dernier. À Omdourman, trois personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées.
Le sang a encore coulé, au Soudan, lors de la journée de manifestations contre le coup d’État militaire, samedi 30 octobre. L’armée et les forces de soutien rapide n’ont pas hésité à tirer directement sur les manifestants qui ont défilé partout dans le pays, rapporte notre correspondant Eliott Brachet depuis Khartoum. Alors que des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes étaient dans les rues pour réclamer la libération du Premier ministre, Abdullah Hamdok, qui est toujours assigné à résidence, et le départ de la junte militaire au pouvoir, la répression a été brutale.
En quelques minutes, des pickups ont déboulé dans tous les quartiers et les militaires ont tiré à la mitrailleuse douchka et au fusil kalachnikov. Des soignants confirment qu’ils ont visé à la tête et au haut du corps. À Omdourman, ville-jumelle de Khartoum, trois manifestants ont été tués par les forces de sécurité, selon un syndicat de médecins pro-démocratie. Ils ont été tués alors qu’ils progressaient vers le Parlement à Omdourman, un point de rassemblement des manifestants.
« Burhan ment. Il dit qu’il veut que le pays soit dirigé par des civils alors qu’il tue des gens dans la rue »
Ahmad a le regard dans le vide, au milieu des pneus brûlés, dans une avenue à l’est de Khartoum. Dans sa main, le jeune homme tient les douilles d’armes automatiques ramassées par terre : « Je suis en colère. Burhan dit qu’il veut protéger le peuple soudanais. Mais ses forces ont tiré sur tout le monde : les femmes, les enfants, les anciens. Pourquoi ? Je veux comprendre. Il ment lorsqu’il dit qu’il veut que le pays soit dirigé par des civils. Sur quelles bases ? Alors qu’il tue des gens dans la rue. »
Selon le syndicat des médecins, plusieurs autres protestataires ont été blessés par balles réelles. Du gaz lacrymogène a été également lancé dans le but de disperser les milliers de manifestants, mais ceux-ci ont réussi à traverser les ponts qui avaient été bloqués par l’armée et ont ainsi afflué de l’est de Khartoum vers l’avenue Sittine de la capitale. « Le 30 octobre, al-Burhan est à Kober », ont scandé les manifestants, « Kober » étant la prison militaire où est détenu le président déchu, Omar el-Béchir.
Traduire : les militaires, auteurs du coup d’État, devant la justice, est l’une des réclamations des protestataires qui refusent de cautionner le régime militaire et qui appellent à un pouvoir civil à 100 %.
« Le retour en arrière n’est pas possible », ont également lancé les manifestants qui exprimaient, samedi, leur opposition au coup d’État à Khartoum et dans plus de 70 villes soudanaises. Des rassemblements ont également eu lieu dans une quarantaine de villes, à travers le monde.
Rassemblements dans les quartiers de Khartoum
Dès la fin de la matinée, les manifestants se sont d’abord rassemblés dans chaque quartier pour converger sur les grands axes, au sud de l’aéroport. À l’intersection de deux grandes rues à Khartoum, les manifestants étaient déjà nombreux en début d’après-midi, rapportait Eliott Brachet, qui décrivait une mobilisation massive, avec des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes en train de marcher sur près de 5 km.
Il y avait des familles venues de loin, en voiture, les jeunes sur le toit des véhicules faisaient le « V » de la victoire. Certains portaient des drapeaux soudanais, d’autres des pancartes exigeant la chute de la junte militaire au pouvoir. « Le général al-Burhan est décrié partout. Il finira dans la même prison qu’Omar el-Béchir », scandaient les manifestants, s’agissant d’un des slogans de cette journée.
Un peu plus haut, sur l’avenue de l’aéroport, des barbelés ont été disposés par les militaires. Les ponts reliant Khartoum aux villes voisines de Omdourman et Bahri ont également été bloqués par des véhicules militaires. Il s’agissait d’empêcher que les cortèges convergent vers les lieux de pouvoir et que l’armée soit dépassée par le nombre de manifestants.
À certains endroits, les pick-up des forces de soutien rapide étaient aussi de retour, surmontés de mitrailleuses.
« La communauté internationale doit faire quelque chose »
Malgré la coupure des télécommunications, les Soudanais se sont mobilisés en masse contre ce coup d’État en arborant des drapeaux soudanais et scandant aussi « Le régime militaire ne peut pas être cautionné » ou encore « ce pays est le nôtre et notre gouvernement est civil » alors qu’ils défilaient dans les quartiers de la capitale. En fin de journée, ils ont monté de nouvelles barricades, s’attendant au retour des militaires.
Un ingénieur, de retour vers son domicile après avoir transporté des blessés à l’hôpital, a confié toute sa rage : « Des manifestants pacifiques ont été visés par des balles. La communauté internationale doit faire quelque chose, mettre la pression sur les militaires. Tout le peuple soudanais refuse complètement la présence des militaires au pouvoir. Il faut que le pouvoir soit rendu aux civils le plus vite possible. »
Les Nations Unies et de nombreux pays avaient mis en garde les généraux putschistes contre l’usage de la force. Les chancelleries estimaient que ces manifestations seraient un « test » sur les intentions des militaires. Au vu de la répression de samedi, leurs intentions sont plutôt claires.
Les manifestants restent déterminés à poursuivre leur démarche de désobéissance civile. Et pour eux, une certitude : hors de question de négocier avec le conseil militaire.
RFI