La rumeur, si elle n’a pas la crédibilité ni l’institutionnalité d’une information politique, peut avoir, néanmoins, une force politique : elle a la force que lui donne la quantité de relais qui la propagent. La force politique de la rumeur repose sur la croyance des sujets singuliers de la communication qui s’en font les relais. C’est ainsi que certaines rumeurs peuvent avoir des conséquences politiques.
Encore faut-il qu’elles trouvent un terreau fertile à leur propagation. En ce sens, il y a là une véritable dialectique entre la propagation des rumeurs et les configurations politiques dans lesquelles elles naissent. Pour qu’un homme politique soit abattu par une rumeur, encore faut-il qu’il ait déjà perdu une part de sa force d’identification et de conviction dans l’espace public. La rumeur, en ce sens, est, sans doute, un indicateur. La multiplication des rumeurs est le symptôme d’une situation politique tendue et l’indicateur de menaces à venir. La première importance politique de la rumeur est sans doute là : dans son caractère annonciateur. Comme elle annonce des tempêtes, elle fait partie des formes de la météorologie politique.
Pour que la rumeur ait une force politique réelle, encore faut-il que les acteurs concernés puissent être reconnus dans l’annonce qu’elle propage : non qu’ils puissent se reconnaître dans ses énonciateurs – elle n’en a pas d’assumés, mais dans la mesure où le public, l’ensemble indistinct des destinataires de la rumeur, et, par conséquent, de ses propagateurs, peut les reconnaître dans ceux dont parlent la rumeur. Ce ne sont pas les sujets de la rumeur qui font l’objet d’une identification, ce sont toujours ceux qu’elle vise, ses victimes, qui peuvent être reconnus par ses destinataires. C’est dire que la force politique de la rumeur est inversement proportionnelle à la force des acteurs dont elle parle. La communication politique, en ce sens, peut être un parfait antidote de la rumeur, dans la mesure où elle peut fonder rationnellement et symboliquement l’identité des acteurs politiques dont elle diffuse les caractères dans l’espace public.
Mais certaines rumeurs persistent. Si, dans l’histoire, certains bruits persistent et continuent d’être propagés avec une certaine force, c’est qu’ils finissent par instaurer dans l’espace public des représentations reconnues et acceptées. Si la rumeur n’est jamais de nature politique, le paradoxe est qu’elle peut, en revanche, avoir des effets politiques, voire qu’elle est de nature, parfois, à instituer des relations politiques ou à créer des événements. L’affaire Dreyfus, si elle est partie de la propagation d’une rumeur, a fini par avoir une véritable force politique, au point de scinder l’opinion publique en deux. C’est que la fausse accusation de trahison propagée contre Dreyfus avait rencontré un terreau fertile dans l’antisémitisme qui régnait en France à l’époque. Si une telle rumeur a pu se développer, si elle est, sans doute, à l’origine de bien des événements politiques – à commencer, sans doute, par la montée de l’opinion belliciste qui mènera à la première guerre mondiale, c’est qu’elle correspondait à un état d’esprit des médias et de l’opinion à l’époque. Comme si, justement, la rumeur, dans son caractère fugace, informel, volatile, sans consistance, pouvait s’identifier à la dimension fugace et immatérielle de l’opinion. Si certaines rumeurs peuvent ainsi avoir une force politique, ce n’est jamais en raison de leur contenu, mais toujours en raison de la situation politique dans laquelle elles naissent. C’est l’opinion de leurs propagateurs qui, parfois, trouve du sens aux rumeurs pour faire d’elles des formes de communication politique.
Joachim Baba MILLIMOUNO