Ces dix dernieres années, les relations entre la Guinée et le Sénégal ne sont pas au beau fixe. Pourtant, ce sont deux pays séparés par des frontières terrestres. Le Sénégal étant au Nord, la Guinée au Sud. La passe-d’armes provient du président Guinéen qui depuis son arrivée au pouvoir en 2010, ne cesse d’accuser son voisin de tentatives de « déstabilisation ». Quel est le fond du dossier ? Ses accusations sont-elles fondées ? Sont-elles de nature à contribuer à la bonne cohabitation des populations des deux pays dans un monde globalisé ? Ce sont les réponses à toutes ces questions que je voudrais tenter d’apporter dans ce présent article.
Le 28 mars 2021, au lancement d’un barrage hydroagricole dans la commune rurale de Tormelin (Prefecture Fria, Basse-côte), Alpha CONDÉ, président de la République de Guinée, a publiquement accusé le Sénégal d’être une base-arrière servant à la destruction de la Guinée. Il avait déclaré en substance : « …Mais tout le monde sait, tous ceux qui nous insultent, tous ces cris de : la Guinée va brûler, tout se fait à Dakar… ». Dans la même déclaration, avait accusé certains pays de la sous région qui ne serait pas heureux du bien être de la Guinée. « D’ici quelques années, seul le Nigeria sera devant nous en Afrique de l’Ouest. Cela ne plaît pas à certains de nos voisins car ils veulent que la Guinée reste toujours derrière, mais nous irons de l’avant », sans nommément citer un pays mais le mot « voisins » laisse entrevoir que le Sénégal en fait partie puisque quelques jours plus tard, il a confirmé ses accusations lors d’une interview accordée à JeuneAfrique en ces termes : « …Cela fait un moment que, comme à l’époque où SENGHOR et Sékou TOURÉ s’affrontaient, toutes les tentatives de destabilisation viennent du Sénégal. Le président Maky SALL m’ayant assuré qu’un tel projet n’entrerait aucunement dans ses intentions, j’ai proposé d’organiser des patrouilles mixtes à la frontière pour empêcher les infiltrations d’éléments hostiles. Cela ne s’est pas fait… »
La réponse de Dakar ?
De manière à calmer le jeu, le président sénégalais (Macky SALL) avait fait une sortie médiatique (après les déclarations d’Alpha CONDÉ, ndl : à Tormelin) pour rassurer son homologue guinéen. « Si les frontières restent toujours pertinentes au sens terrestre, maritime et aérien, les menaces sont constamment changeantes. Elles sont devenues plus diffuses, plus complexes, plus difficiles à prévenir et à combattre. En somme, c’est le monde qui est devenu plus dangereux face aux périls de toutes sortes : le terrorisme, la cybercriminalité, les crimes transfrontaliers, les défis environnementaux et sanitaires. C’est pourquoi nous devons en permanence ajuster nos outils de veille, de prevention et de prise en charge des menaces. Nos forces de défense et de sécurité continueront de veiller sur nos frontières en restant fidèles à nos traditions de bon voisinage. Pour nous, la frontière est un trait d’union et un espace de convivialité entre les peuples », avait déclaré Macky SALL (le 03 avril 2021), la veille de la fête d’indépendance du Sénégal.
Les dessous
Le 18 octobre 2020, le président Alpha CONDÉ (après avoir modifié la consituation le 22 mars de la même année), s’est fait élire pour une troisième fois de suite. Bien avant, les constestations d’avant modification de la constitution, avaient fait plusieurs morts civilo-militaires. Se sentant menacé, d’une rebellion, Alpha CONDÉ n’a trouvé mieux que fermer ses frontières avec certains pays voisins dont le Sénégal en premier lieu. Chose qui sera faite le 27 septembre 2020, sans prévenir ses voisins (du Sénégal, de la Guinée-Bissau et du Sénégal). Devant une délégation de la CEDEAO, Alpha a justifié sa décision par le refus de Macky SALL de mener des patrouilles mixtes le long des frontières terrestres entre la Guinée et le Sénégal.
C’était-ce la seule raison ?
Le Sénégal accueille une bonne partie des ressortissants guinéens dont la majorité serait favorable à Cellou Dalein DIALLO, l’opposant au pouvoir d’Alpha CONDÉ. Ainsi, des milliers d’électeurs n’ont pas pu voter. Certains se trouvaient en Guinée, d’autres au Sénégal, sans leurs cartes d’électeurs. Sans compter que le problème du transfert des kits d’électeurs de la Guinée vers le Sénégal allait se poser. « …Reste le cas du Sénégal, où réside la plus importante diaspora guinéenne, laquelle ne devrait pas pouvoir voter pour des raisons techniquement offucielles, la présence des électeurs sur le fichier électoral devant être validée par un kit d’enrôlement, dispositif n’existant pour l ‘instant qu’en Guinée… », note Diawo BARRY dans son article du 13 janvier 2021 sur JeuneAfrique.
Les conséquences :
Si les conséquences politiques sont moins impactantes, celles économiques le sont véritablement. Au moment de la fermeture des frontières, « au moins 250 camions » d’opérateurs économiques guinéens se trouvaient à Dakar, selon une déclaration du président du Groupe organisé des Hommes d’Affaires (GOHA), Cherif ABDALLAH, cité par JeuneAfrique qui poursuit : « …Les marchandises ont commencé à pourrir depuis longtemps. On a noté également des cas de maladies de certains transporteurs et de leurs apprentis, exposés à une pénurie d’eau, d’électricité et de nourriture. Ils cohabitent là-bas avec les animaux du Parc national du Niokolo-Badiar… »
Pas une première :
« Je pense qu’il y a la complicité du gouvernement sénégalais comme du gouvernement gambien même s’ils disent qu’ils ont manqué de vigilance… »
Les mêmes accusations sont venues d’Alpha CONDÉ en 2011. À moins d’un an après son élection, une attaque a eu lieu à son domicile privé le 19 juillet 2011. Il n’est pas allé chercher les commanditaires ailleurs. Il a pointé du doigts la Gambie et le Sénégal dont on parle dans cet article. « ..J’ai clairement dit au ministre (des Affaires étrangères du Sénégal) Madické NIANG et aux ministres des Affaires étrangères de la Gambie que j’estime (…) que les choses ont été préparées à l’Hôtel (Méridien) Président à Dakar, qu’il y a des va-et-vient en Gambie et j’estime qu cela ne pouvais pas se passer à leur inssu », fait-il savoir dans un article de JeuneAfrique du 12 septembre 2011. Mais, les va-et-vient de qui ? De son principal Challenger, Mamadou Cellou Dalein DIALLO, president du parti de l’Union des Forces démocratiques de Guinée (UFDG). « Je pense qu’il y a la complicité du gouvernement sénégalais comme du gouvernement gambien même s’ils disent qu’ils ont manqué de vigilance… Nous savons très bien que le numéro 2 de l’UFDG, BAH Oury, qui a fui, nous savons très bien qu’il a été un des principaux organisateurs ici », déclare-t-il à Sud FM (une Radio privée du Sénégal) le 24 juillet 201.
La réponse des autorités sénégalaises ne s’est pas fait attendre. « Il ne peut pas être question d’implication du Sénégal dans des problèmes de déstabilisation de la Guinée… Le Sénégal abrite deux millions de Guinéens, 300 000 Sénégalais sont en Guinée », répond le porte-parole du gouvernement sénégalais, Serigne Mbacké N’DIAYE, cité par JeuneAfrique qui avait même ajouté que l’ancien président du Sénégal (Abdoulaye WADE) a contribué à l’accession d’Alpha CONDÉ au pouvoir (en 2010). « Le président WADE – et ça, le président Alpha CONDÉ en est conscient – s’est beaucoup investi … pour que la Guinée puisse aller vers des élections transparentes ».
Ce qu’il faudrait :
Au vu de la proximité des deux pays où d’un côté comme de l’autre l’on peut faire une veillée et se retourner, de telles déclarations menacent la stabilité. Je ne parlerai plus du principe de libre circulation des personnes et de leurs biens dans l’espace CEDEAO déjà violé.
Le président Alpha CONDÉ cite également les relations « tendues » entre le premier président de la Guinée (Ahmed Sékou TOURÉ) et le président du Sénégal (Abdoulaye WADE). C’est une période que je n’ai jamais vécue mais, je ne suis pas sûr que de telles déclarations puissent avoir lieu entre les deux Chefs d’État. Mieux, l’opposition entre les deux étaient fondamentalement idéologiques. Ahmed Sékou étant du bloc de l’Est (socialisme) et Léopold Sédar SENGHOR de l’Ouest (libéralisme).
« Que Sékou TOURÉ taxe SENGHOR et autres de « traîtres », cela ne signifie pas qu’ils les a accusés de mercenariat destabilisant envers la Guinée. Les chefs d’État du Mali, du Sénegal, de la Côte-D’Ivoire etc., avaient signé un pacte pour dire non à la communauté française. Mais, seul Sekou TOURÉ a respecté ce pacte. Donc il avait raison de le dire. Quand il y a eu la guerre en Côte-D’Ivoire, les Ivoiriens ont donné raison à Sékou TOURÉ », indique Fara Michel SANDOUNO, chargé des cours de Sociologie dans des universités guinéennes.
De surcroît, les propos du président Alpha CONDÉ ne sont soutenus par aucune preuve matérielle. Qu’il prouve que l’agression dite « portugaise » de 1970 soit commanditée par le Sénégal ; que les violences post-électorales des 11 dernières années de sa gouvernance dont celles d’octobre 2020 sont soutenues par le Sénégal.
Le comble
Le président Alpha lui-même est cité dans des théorie de complot contre la Guinée. Notamment dans les incursions rebelles des années 2000. Dans une interview accordée au site africaguinee et reprise par GuineeElites.org , Mamadou SYLLA, chef de file actuel de l’opposition guinéenne à fait des déclarations troublantes de nature à prouver l’implication du président Alpha CONDÉ dans ces événements malheureux de l’histoire de la Guinée. Même un de ses ministres, à la personne de Tibou KAMARA, Porte-parole du gouvernement, ministre d’État à l’Industrie, des petites et moyennes entreprises, a accusé Alpha CONDÉ d’avoir participé à une rébellion contre la Guinée, pendant qu’il est opposant. Peut-on aussi dire que c’est le Sénégal qui derrière tout ça absolument pas.
Il est temps que la CEDEAO et l’union africaine jouent leur rôle avant que les choses ne s’empirent. Il faut le dire, jusque-là, le Sénégal n’est pas allé dans la même direction que la Guinée. Sans quoi, le Sénégal et la Guinée seraient comme l’Allemagne d’alors : deux pays dans un État, séparé par un mur (Mur de Berlin). Les Allemands de l’Est ne pouvaient pas dépasser ce mur pour aller en Allemagne de l’Ouest, vice-versa.
Saa Joseph KADOUNO (Journaliste)